English versionQuelques réflexions au sujet de l'étude
Breast cancer mortality in 500 000 women with early invasive breast cancer in England, 1993-2015: population based observational cohort study
Taylor C., McGale P., Probert J., Broggio J., Charman J., Darby S.C., Kerr A.J. et al. - DOI:http://dx.doi.org/10.1136/bmj-2022-074684

Le BMJ (British Medical Journal) vient de publier une nouvelle étude visant à mesurer la létalité des cancers du sein et son évolution entre 1993 et 2015.
Bien que cette étude ne permette aucune conclusion sur l'intérêt du dépistage, elle est utilisée par les promoteurs du dépistage pour en faire la promotion. Cet usage est malhonnête et voici pourquoi.

Résumé de l'étude

Pour commencer, un bref résumé de l'étude.
L'étude porte sur un peu plus de 500 000 femmes anglaises chez lesquelles un cancer du sein limité au sein ou au ganglions axillaires (pas de métastases) a été diagnostiqué entre 1993 et 2015.
L'objectif de l'étude est de décrire l'évolution dans le temps de la létalité des cancers du sein non métastatiques et d'estimer la létalité actuelle pour des groupes de femmes avec des caractéristiques communes (tranche d'âge, grade de la tumeur, présence/absence de récepteurs des oestrogènes, statut HER2, diagnostic du cancer par le dépistage/diagnostic en dehors du dépistage, ...).

L'étude confirme un baisse de la létalité au cours du temps. Ainsi, la létalité à 5 ans est passée de 14,4% pour les cancers diagnostiqués entre 1993 et 1999 à 4,9% pour les cancers diagnostiqués entre 2010 et 2015.
Parmi les autres résultats de l'étude, figurent la létalité des cancers diagnostiqués par dépistage chez des femmes de 50 à 64 ans et la létalité des cancers non diagnostiqués par dépistage chez des femmes de 50 à 64 ans. Sans surprise (nous verrons pourquoi au paragraphe suivant), la létalité est plus élevée (environ 1,5 fois plus) dans le cas des cancers non diagnostiqués par dépistage.

Baisse de la létalité au cours du temps + létalité plus faible dans le groupe des cancers diagnostiqués par dépistage, il n'en fallait pas plus pour que les zélateurs du dépistage s'emparent de l'étude et proclament l'intérêt du dépistage, malgré les avertissements explicites figurant dans la publication.

Aucune conclusion n'est possible sur le dépistage

Précisons tout d'abord que les auteurs de l'étude eux-mêmes considèrent qu'on ne peut pas attribuer au dépistage les baisses de létalité observées. Ainsi, ils écrivent que le dépistage ne peut à lui seul expliquer les baisses de létalité observées (« increases in screening cannot solely explain the decreases in breast cancer mortality that we observed ») et que leur étude ne permet pas de déterminer les raisons de ces baisses de létalité (« this observational study cannot determine the specific causes of these reductions in mortality »).

Cette prudence des auteurs de l'étude est tout à fait fondée pour les raisons suivantes :

1. Le problème des cancers de l'intervalle
Les groupes cancers diagnostiqués par dépistage et cancers non diagnostiqués par dépistage ne correspondent pas à un clivage femmes dépistées / femmes non dépistées. Parmi les cancers non diagnostiqués par dépistage figurent les cancers de l'intervalle, c'est-à-dire les cancers qui sont diagnostiqués entre 2 cycles de dépistage chez des femmes participant au dépistage. Ces cancers de l'intervalle sont des échecs du dépistage et il n'est pas logique d'évaluer la performance du dépistage en mettant ces échecs, et les décès associés, sur le compte des femmes non dépistées.
Ce problème est loin d'être anecdotique puisque, en France, les cancers de l'intervalle représenteraient entre 12 et 18% des cancers selon les sources. Par ailleurs, ces cancers de l'intervalle sont fréquemment des cancers d'évolution rapide, avec un mauvais pronostic.

2. Le problème des surdiagnostics
La létalité des cancers du sein est le ratio nombre de décès dus au cancer du sein sur nombre de cancers du sein. Ce ratio peut baisser pour 2 raisons :
- soit, à nombre égal de cancers, les décès ont diminué,
- soit le nombre de cancers a augmenté sans être accompagné d'une augmentation des décès.
Les surdiagnostics, c'est-à-dire les cancers retrouvés par le dépistage mais qui n'auraient jamais affecté la santé, s'ils étaient restés méconnus, conduisent à la 2ème éventualité, une augmentation artificielle du nombre de cancers par définition sans augmentation des décès.
Les surdiagnostics tendent donc mathématiquement à faire baisser la létalité et à créer l'illusion de l'efficacité du dépistage, alors qu'en réalité le dépistage n'a pas amélioré le pronostic des "vrais" cancers ("vrais" au sens de cancers susceptibles d'altérer la santé).
Ici encore, ce problème n'est pas anecdotique puisque, selon les études, les surdiagnostics pourraient représenter plus de 40% des cancers diagnostiqués par dépistage et que l'INCa admet 10 à 20% de surdiagnostics parmi les cancers diagnostiqués par dépistage.

3. Le problème de la non-comparabilité des groupes
Les groupes cancers diagnostiqués par dépistage et cancers non diagnostiqués par dépistage n'ont pas été constitués par randomisation et, de ce fait, la répartition des facteurs de risque de décès n'est probablement pas équilibrée entre les groupes. Dans nombre de cas, le fait de ne pas répondre aux invitations au dépistage traduit des problèmes psycho-sociaux ou des difficultés d'accès aux structures de santé dont les conséquences ne se limitent pas à décliner les invitations au dépistage mais sont susceptibles d'altérer la prise en charge et le pronostic d'un cancer.
Pour se convaincre de l'importance des problèmes psycho-sociaux et d'accès aux soins, il suffit de regarder le graphique S12 des données supplémentaires de l'étude, partiellement reproduit ci-dessous. Ce graphique montre clairement qu'il existe des disparités selon les régions, qui correspondent très vraisemblablement à des disparités sociales ou dans l'accès aux soins.
graphique S12

4. Le problème des effets négatifs du dépistage
Le jugement sur le dépistage ne peut se résumer à l'appréciation des bénéfices du dépistage. Il faut également prendre en compte, et mettre en balance, les effets négatifs du dépistage :
- stress lié aux fausses alertes
- surdiagnostics, avec leurs conséquences psychologiques et sociales et les conséquences somatiques des traitement inutiles qui leur sont associés
- cancers radio-induits par les mammographies à répétition.
Aucune information n'est apportée par l'étude sur ces aspects (ce n'était d'ailleurs pas l'objet de l'étude). Ce n'est pourtant qu'avec l'ensemble de ces éléments, la réduction de la létalité mais aussi le prix à payer pour obtenir cette réduction, qu'un jugement est possible sur l'intérêt du dépistage.
Et c'est à chaque femme, et à elle seule de se faire son opinion et de décider, sans pression extérieure, si elle souhaite ou non se faire dépister.

Référence de l'étude

Taylor C., McGale P., Probert J., Broggio J., Charman J., Darby S.C., Kerr A.J. et al.
Breast cancer mortality in 500 000 women with early invasive breast cancer in England, 1993-2015: population based observational cohort study
DOI:http://dx.doi.org/10.1136/bmj-2022-074684

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Dernière mise à jour le 27/06/2023