English versionQuelques réflexions au sujet de l'étude
« A case–control study to evaluate the impact of the breast screening programme on breast cancer incidence in England »
Blyuss O., Dibden A., Massat N.J., Parmar D., Cuzick J., Duffy S.W., Sasieni P. - DOI:https://doi.org/10.1002/cam4.5004

La revue « Cancer Medecine » vient de publier en ligne une nouvelle une étude visant à quantifier les surdiagnostics associés au dépistage du cancer du sein. Cette étude repose sur une méthode de type cas-témoin avec appariement et estimation des surdiagnostics par les odds ratio (OR) issus d'une régression logistique conditionnelle. La méthode est intéressante mais l'étude comporte des problèmes méthodologiques qui en faussent les résultats.

Une erreur dans la méthode

Les auteurs déterminent les OR pour l'année de la dernière mammographie de dépistage et les années suivantes. Ils utilisent ensuite ces OR pour quantifier les surdiagnostics, non seulement pour les années à partir desquelles les OR ont été calculés mais également pour les années antérieures, dont l'année de la 1ère mammographie de dépistage. Cette façon de faire n'est correcte que si les OR restent à peu près constants de la 1ère mammographie à la dernière. Ce n'est pas le cas.
L'année où est réalisée un dépistage, l'incidence des diagnostics de cancer du sein est augmentée du fait que des cancers infracliniques sont trouvés par le dépistage. Très logiquement, les années suivantes, l'incidence est diminuée du fait des cancers qui ont déjà été diagnostiqués, en avance, lors de l'année du dépistage. Cet effet, dû à l'avance au diagnostic, dure quelques années, et certainement au moins 3 ans (le tableau 3 figurant dans l'étude suggère que l'effet de l'avance au diagnostic durerait environ 6 ans). Avec une mammographie de dépistage tous les 3 ans, l'effet de l'avance au diagnostic n'est pas terminé quand est réalisée la mammographie suivante. Il en résulte que l'incidence des diagnostics de cancer du sein est plus faible pour une ième mammographie de dépistage que pour la 1ère.
Cette différence entre l'incidence des cancers lors de la 1ère mammographie de dépistage et l'incidence des cancers lors des mammographies suivantes est loin d'être marginale et se retrouve dans toutes les bases de données sur le dépistage.
Pour l'Angleterre, les données du NHS Breast Screening Programme pour la période 2010-2011, permettent de démontrer un excédent de diagnostics de cancers du sein lors d'un 1er dépistage par rapport aux dépistages suivants (cf annexe en bas de page).
Pour la France et l'année 2011, on dispose du tableau suivant (tiré de "Indicateurs nationaux de performance du programme de dépistage du cancer du sein sur la période 2010-2011", téléchargeable sur le site de Santé publique France à l'adresse https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/53655/file/indicateur-globaux-web-nat-2010-2011.pdf)

Tableau

L'incidence des cancers du sein est très nettement supérieure lors du dépistage initial que lors des dépistages suivants. Il y a donc clairement une erreur méthodologique dans le fait d'appliquer l'OR de l'année de la dernière mammographie de dépistage à l'année de la 1ère mammographie de dépistage.
Les données de la 1ère ligne du tableau ci-dessus suggèrent que, pour les femmes de 50-54 ans, l'incidence est environ 1.9 fois plus élevée en cas de dépistage initial qu'en cas de dépistage subséquent. Appliquons ce facteur pour corriger les estimations d'incidence associées au 1er épisode de dépistage, à 50 ans, telles qu'elles figurent dans le tableau 4 de l'article, dont un extrait est reproduit ci-dessous :

Tableau

La correction se fait très simplement en multipliant l'incidence dans la population dépistée, 732.4, par 1.9. La correction conduit à augmenter l'incidence dans la population dépistée, et par conséquent les surdiagnostics, de 659 cas.
Après cette correction, on peut établir le tableau suivant :

Valeurs erronées
publiés dans l'étude
Valeurs corrigées
Incidence dans la population générale (pour 100 000 femmes) 9 706 9 706
Incidence dans une population non dépistée (pour 100 000 femmes) 9 156 9 156
Incidence dans une population dépistée (pour 100 000 femmes) 9 835 10 494
Surdiagnostics (pour 100 000 femmes) 679 1 338
Probabilité d'un surdiagnostic pour une femme dépistée 0.007
(7 chances sur 1000)
0.013
(13 chances sur 1000
Part des surdiagnostics parmi les cancers 7% 14%
Part des surdiagnostics parmi les cancers diagnostiqués lors d'un dépistage 9.5% 19%

On voit que l'erreur commise n'est pas négligeable puisque la correction double quasiment l'estimation des surdiagnostics.

Une autre estimation des surdiagnostics

La correction effectuée ci-dessus dépend de la valeur retenue pour exprimer la différence entre l'OR du 1er dépistage et les OR des dépistages subséquents. Nous avons utilisé un facteur correctif égal à 1.9, probablement bien adapté à la situation française mais dont l'application à des données anglaises peut être sujette à caution. Nous allons donc maintenant utiliser une autre manière d'estimer les surdiagnostics.
Un des résultats de l'étude est une augmentation significative des diagnostics de cancer du sein chez les femmes ayant participé au moins 1 fois au dépistage par rapport aux femmes n'y ayant jamais participé, avec un OR calculé à 1.22, avec un intervalle de confiance à 95% de 1.18 à 1.26. Concrètement cet OR signifie que les femmes ayant participé au moins 1 fois au dépistage ont une probabilité de diagnostic d'un cancer du sein multiplié par 1.18 à 1.26 par rapport aux autres femmes. Outre que cette augmentation du risque de diagnostic d'un cancer du sein est loin d'être négligeable, elle permet d'estimer la part des surdiagnostics dans les cancers diagnostiqués dans une population invitée au dépistage.
Mathématiquement, la part S des surdiagnostics dans les cancers diagnostiqués s'écrit comme :    S = (Iavec - Isans) x D / Iglobal
où Iavec désigne l'incidence des cancers chez les femmes participant au dépistage, Isans désigne l'incidence des cancers chez les femmes ne participant pas au dépistage, Iglobal désigne l'incidence globale des cancers (dans une population mélangeant les femmes participantes et non participantes) et D désigne un facteur de correction égal à la participation au dépistage.
On a 2 équations supplémentaires :
OR ≈ RR = Iavec / Isans       où OR = odds ratio et RR = risque relatif
Iglobal = (1 - D) x Isans + D x Iavec
En combinant les 2 équations ci-dessus, on arrive à :    Iglobal = (1 - D) x Isans + D x Isans x OR
D'où :    Isans = Iglobal / (1 - D + D x OR) et Iavec = Iglobal x OR / (1 - D + D x OR)
On en déduit :    S = (Iglobal x OR / (1 - D + D x OR) - Iglobal / (1 - D + D x OR)) x D / Iglobal
Qui se simplifie pour donner :    S = (OR - 1) x D / (1 - D + D x OR)
Avec D = 0.7 (70% de participation au dépistage organisé) et les bornes de l'intervalle de confiance de l'OR (1.18 et 1.26), on obtient la fourchette suivante pour S :
limite basse : (1.18 - 1) x 0.7 / (0.3 + 0.7 x 1.18) = 0.11 ; limite haute : (1.26 - 1) x 0.7 / (0.3 + 0.7 x 1.26) = 0.15
Avec D = 1 (population composée uniquement de femmes participant au dépistage organisé) on a :
limite basse : (1.18 - 1) x 1 / (0 + 1 x 1.18) = 0.15 ; limite haute : (1.26 - 1) x 1 / (0 + 1 x 1.26) = 0.21
Ainsi, dans des conditions standards correspondant à celles de l'étude (invitation tous les 3 ans, 70% de participation au dépistage et moyenne de 3 mammographies par femme participante), les surdiagnostics représenteraient entre 11 et 15% des cancers.
Dans une population de femmes participant au dépistage organisé, les surdiagnostics représenteraient entre 15 et 21% des cancers et entre 20 et 28% des cancers diagnostiqués lors d'une mammographie de dépistage (en utilisant le même facteur de 11/8 que les auteurs de l'étude pour tenir compte des cancers de l'intervalle).
Ces estimations confirment que les surdiagnostics sont beaucoup plus fréquents que ce qui est rapporté par les auteurs de l'étude.

Conclusion

Cette nouvelle étude visant à quantifier les surdiagnostics comporte une erreur méthodologique grave. Cette erreur conduit à une forte sous-estimation des surdiagnostics et enlève tout crédit aux résultats et à la conclusion de l'étude.
Cette étude ne devrait donc ni être prise en compte pour une estimation de la balance bénéfices/risques du dépistage des cancers du sein, ni être prise en compte dans les méta-analyses visant à quantifier la fréquence des surdiagnostics.

Référence de l'étude

Blyuss O., Dibden A., Massat N.J., Parmar D., Cuzick J., Duffy S.W., Sasieni P.
A case–control study to evaluate the impact of the breast screening programme on breast cancer incidence in England
DOI:https://doi.org/10.1002/cam4.5004
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Annexe : démonstration d'une différence entre 1er dépistage et dépistages suivants, avec les données anglaises

Les données officielles concernant le dépistage des cancers du sein en Angleterre, sur la période 2010-2011, peuvent être téléchargées à partir de l'adresse https://digital.nhs.uk/data-and-information/publications/statistical/breast-screening-programme/breast-screening-programme-england-2010-11.
A partir de ces données, il est possible de construire les tableaux suivants :

Nombre de femmes Nombre de cancers Incidence des cancers (/1000 femmes)
1er dépistage 294 290 2 338 0.0079
Dépistage subséquent,
avec dépistage précédent remontant à moins de 5 ans
1 342 325 9 747 0.0073
Dépistage subséquent,
avec dépistage précédent remontant à plus de 5 ans
90 962 1 016 0.0112

Nombre de femmes Nombre de cancers Incidence des cancers
Femmes de 50 à 52 ans 287 036 1 955 0.0068
Femmes de 53 ou 54 ans 182 754 947 0.0052
Femmes de 55 à 59 ans 421 096 2 533 0.0060
Femmes de 60 à 64 ans 452 196 3 785 0.0084
Femmes de 65 à 70 ans 384 495 3 881 0.0101

50 à 52 ans 53 ou 54 ans 55 à 59 ans 60 à 64 ans 65 à 70 ans
1er dépistage 239 412 22 366 19 122 8 763 4 637
Dépistage subséquent,
avec dépistage précédent remontant à moins de 5 ans
46 641 158 149 374 372 410 359 352 804
Dépistage subséquent,
avec dépistage précédent remontant à plus de 5 ans
983 2 239 27 612 33 074 27 054

Le 2ème tableau confirme que l'incidence des cancers augmente avec l'âge. Le 3ème tableau montre que les femmes jeunes sont surreprésentées parmi les 1ers dépistages et les femmes plus âgées surreprésentées parmi les dépistages subséquents. Il est donc nécessaire de procéder à un ajustement sur l'âge pour vérifier si l'incidence des cancers est différente selon qu'il s'agit d'un 1er dépistage ou d'un dépistage subséquent.
Faisons l'hypothèse que l'incidence des cancers reste la même qu'il s'agisse d'un 1er dépistage ou d'un dépistage subséquent. Sous cette hypothèse, l'incidence ne dépend que de la classe d'âge et on peut calculer un nombre de cancers attendus en multipliant le nombre de femmes de la classe d'âge par l'incidence pour cette classe d'âge. Cela donne le tableau ci-dessous :

50 à 52 ans 53 ou 54 ans 55 à 59 ans 60 à 64 ans 65 à 70 ans Total
1er dépistage 239 412 x 0.0068 = 1 631 22 366 x 0.0052 = 116 19 122 x 0.0060 = 115 8 763 x 0.0084 = 73 4 637 x 0.0101 = 47 1 982
Dépistage subséquent,
avec dépistage précédent < 5 ans
46 641 x 0.0068 = 318 158 149 x 0.0052 = 820 374 372 x 0.0060 = 2 252 410 359 x 0.0084 = 3 435 352 804 x 0.0101 = 3 561 10 385
Dépistage subséquent,
avec dépistage précédent > 5 ans
983 x 0.0068 = 7 2 239 x 0.0052 = 12 27 612 x 0.0060 = 166 33 074 x 0.0084 = 277 27 054 x 0.0101 = 273 734

On peut alors comparer les effectifs observés et les effectifs attendus sous l'hypothèse d'absence de différence entre 1er dépistage et dépistage subséquent :

Nombre de cancers observés Nombre de cancers attendus Différence
1er dépistage 2 338 1 982 + 356
Dépistage subséquent,
avec dépistage précédent remontant à moins de 5 ans
9 747 10 385 - 638
Dépistage subséquent,
avec dépistage précédent remontant à plus de 5 ans
1 016 734 + 282

Les différences entre nombres de cancers observés et nombres de cancers attendus sont statistiquement significatives (p < 0.00001 au test du Chi2) et permettent de rejeter l'hypothèse d'absence de différence entre 1er dépistage et dépistage subséquent. Plus précisément, on confirme que les 1ers dépistages génèrent un excédent de diagnostics de cancer alors que les dépistages subséquents avec dépistage précédent remontant à moins de 5 ans s'accompagnent d'un déficit de diagnostics de cancer. On voit aussi que lorsque le dépistage précédent remonte à plus de 5 ans, l'effet de l'avance au diagnostic disparait puisqu'on retrouve un excédent de diagnostics de cancer.
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Dernière mise à jour le 09/08/2022